L'état des lieux de la formation des enseignants

En novembre 2019, j'avais lancé un sondage pour savoir si les enseignants français étaient satisfaits de leur formation à l'enseignement de l'écriture. La réponse à cette question était très clairement négative. Sur les 500 réponses recueillies, les trois quarts faisaient état d'une absence totale de formation - initiale ou continue - sur la question.

Ces dernières années, j'ai eu l'impression d'une prise de conscience et d'une amélioration progressive. Mais je n'avais aucun chiffre pour étayer mon intuition. J'ai donc décidé de lancer un nouveau sondage, en posant exactement les mêmes questions un peu plus de cinq ans plus tard, pour voir si la situation a évolué ou pas.

 

Méthodologie

J'ai lancé ce sondage auprès de mon premier cercle : les abonnés à mon infolettre.  Bien entendu, les premières réponses ont montré une surreprésentation des personnes ayant fait des formations avec moi, ce qui était parfaitement logique. Mais le sondage a ensuite été relayé par les enseignants dans leur entourage et posté sur divers réseaux sociaux - essentiellement Instagram et Facebook - ce qui a nettement atténué le biais.

Le sondage comportait des questions fermées (Avez-vous reçu une formation initiale sur l'enseignement de l'écriture manuscrite ? oui / non. Si oui, cette formation vous a-t-elle été très utile / utile / pas très utile / inutile) et des questions ouvertes (Voulez-vous m'en dire plus sur votre formation initiale et l'écriture manuscrite ?).

Les réponses étaient anonymes. Le sondage a circulé grâce aux relais de nombreux enseignants. Les personnes touchées en premier lieu ont été celles qui suivent mon travail, donc manifestent un intérêt pour la question de l'écriture manuscrite. Il est donc probable qu'il y ait une surreprésentation des enseignants ayant fait le choix de se former eux-mêmes. Aucune méthode de quotas n'a été appliquée. J'ai cessé de recueillir les réponses quand environ 1000 personnes ont répondu, après avoir vérifié que les pourcentages ne variaient plus guère au fil des réponses, ce qui est un indicateur de fiabilité. J'ai doublé le nombre de participants par rapport à 2019 pour atténuer les biais, puisque ces dernières années le nombre de personnes suivant mon travail de près a nettement augmenté.

 

La formation initiale sur l'écriture manuscrite et son enseignement s'est-elle généralisée ?

Le premier constat de ce sondage est qu'effectivement, le pourcentage personnes déclarant avoir bénéficié d'une formation initiale sur l'écriture manuscrite et son enseignement a légèrement augmenté. Il n'était que de 8 % en 2019, il a augmenté d'environ 3 points pour arriver à presque 11 % aujourd'hui.

Sondage 2025

Certes, l'augmentation n'est pas massive, mais comme j'ai demandé la participation de tous les enseignants, des plus récents (en cours de formation) aux plus anciens (retraités), cela implique que même si par magie 100 % des nouveaux enseignants étaient formés à partir d'aujourd'hui, les statistiques mettraient plusieurs années à le refléter vraiment. 

Pour avoir une vision plus précise, j'ai extrait les réponses des personnes ayant fini leur formation entre 2019 et 2025, pour avoir une idée de ce qui s'est passsé ces dernières années. Là, les pourcentages passent à 22 % de "oui" pour 78 % de "non". Certes, on peut se dire que moins d'un quart des nouveaux enseignants formés, c'est encore loin, très loin d'être la panacée, mais je suis confortée dans mon impression : l'apprentissage de l'écriture manuscrite est moins négligé dans la formation initiale qu'il l'a été encore récemment.

Concernant la durée de cette formation, voici les chiffres :

 

Sondage 2019

durée formation initiale

Sondage 2025

durée formation initiale

 

On constate qu'il y a une légère augmentation du temps consacré à cette formation, quand elle a lieu. Est-ce une tendance lourde ? Si parmi les 116 personnes disant avoir bénéficié d'une formation initiale à l'enseignement de l'écriture, je sélectionne les 41 personnes ayant fini leur formation depuis 2019, je trouve des chiffres tout à fait similaires, voire en légère baisse. Il ne me semble donc pas que cette petite variation statistique ait grand sens - d'autant que les seuils que j'ai définis sont somme toute parfaitement arbitraires (moins de 3 h, de 4 à 10 h, plus de 10 h).

 

Les enseignants la jugent-ils utile ?

 

Sondage 2019

utilité formation initiale

Sondage 2025

utilité formation initiale

L'amélioration est légère. 42,4 % des enseignants avaient jugé avoir reçu une formation utile ou très utile, c'est maintenant le cas de 47,7 % d'entre eux, donc c'est un peu mieux, sans arriver tout à fait à la moitié !

Les personnes qui ont jugé cette formation inutile sont peu nombreuses - 10 cas. L'une d'entre elle dit :

"On nous disait ce qu’il ne fallait pas faire mais jamais quoi faire…" (formation terminée en 1999)

 

Celles qui ont jugé la formation pas très utile sont beaucoup plus nombreuses - 58 personnes. Voici ce qu'elles disent :

"La formation était plus concentrée sur la partie disciplinaire du concours, grammaire, orthographe, rédaction de corpus que sur la didactique et comment enseigner" (2019) ou encore "Préparation au concours plus qu'à l'enseignement". (2014)

"On a fait une fiche avec des lettres en pointillés pour se rendre compte que c’était difficile d’apprendre à écrire comme ça." (2024)

"Une conseillère pédagogique qui lors d'une animation pédagogique nous a mis l'accent sur l'importance du tracé des lettres et nous a renvoyé vers Eduscol" (2019)

"Des photocopies sur la forme des lettres manuscrites" (1999)

"Nous regardions principalement des vidéos d’enseignant qui apprenait un geste d’écriture" (2022).

"Trop théorique pas assez dans la pratique" (2015)

 

A l'inverse, 16 personnes ont trouvé leur formation initiale très utile. Voici leurs principales remarques :

"Apprentissage de la tenue du crayon, gym des doigts, ductus des lettres..." (2023)

"Assez courte mais intéressante. A abordé le sens de l'écriture cursive notamment." (2025)

"On nous a tout de suite évoqué la méthode Dumont" (2016).

 

Beaucoup d'enseignants pointent les spécificités des besoins en maternelle et le rôle essentiel de la formation de terrain. Par exemple ce témoignage :

"Très peu de formation sur la maternelle.
Enormément de pression tout au long de la formation avec beaucoup de théorie. Je ne comprenais pas la phrase que les profs répétaient inlassablement en cours :"il faut mettre du sens". Le summum a été la conférence sur ce thème...

J'ai enfin compris lors d'un stage d'observation dans la classe d'une EMF en cours d'année. Stage salutaire dans ma formation. Je ne dirai jamais assez merci à cette EMF de CP/CE1. Tout coulait de source..." (2000)

 

 

Qu'en est-il de la formation continue ?

En formation continue, un progrès très net est à constater : on passe de 18,8 % à 30,4 % des enseignants qui ont bénéficié d'une formation. Il semble donc que la prise de conscience de l'importance du sujet soit réelle. Je le constate moi-même par le nombre toujours plus élevé de conseillers pédagogiques, coordinateurs REP, inspecteurs et directeurs d'établissements privés qui me contactent.

 

Sondage 2019formation continue

Sondage 2025

formation continue

 

Pour cerner les choses de plus près, j'ai demandé aux enseignants ayant suivi une formation continue sur l'écriture dans quel cadre cette formation avait eu lieu. Voici leurs réponses :

Sondage 2019

formation continue cadre

Sondage 2025

cadre formation continue

 

La part des enseignants ayant fait le choix de payer une formation de leur poche a encore augmenté ! 85 personnes, soit un gros quart, déclarent avoir fait une formation individuelle qu'ils ont payée eux-mêmes. Encore une preuve, s'il en fallait, de l'extrême implication des enseignants dans leur métier. Plusieurs signalent, à juste titre, l'anomalie de cette situation.

Sur ces 85 personnes, 72 estiment que la formation leur a été très utile, et 13 qu'elle leur a été utile. Aucune ne l'a trouvée que peu ou pas utile.

"N'ayant pas eu de formation initiale ni de formation continue obligatoire dédiée au geste graphique et tout ce que cela implique (tenue du crayon, posture, mouvement, coordination), les compétences et les connaissances me manquaient dans ma pratique." (2018)

Les formations concernées ont été dispensées dans divers cadres et par diverses personnes : par des graphopédagogues (Isabelle Godefroy et moi-même, de l'association 5E, mais aussi Écriture 59 et d'autres graphopédagogues non nommés), par Danièle Dumont, par Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, par des formateurs Montessori, par des conférenciers à l'AGEEM ou, dans deux cas, par des organismes formateurs de graphothérapeutes.

 

Les avis sont plus variés sur les formations prises en charge par l'institution, qu'elles soient obligatoires ou optionnelles : sur les 226 personnes concernées, 3 ont trouvé les formations inutiles, 27 pas très utiles, 74 utiles et 120 très utiles - soit quand même plus de la moitié, ce qui est très encourageant.

Les formes étaient très variées. Les conférences de Danièle Dumont sont très largement citées, ainsi que celles que j'ai pu faire moi-même. L'autoformation est souvent mise en avant, tout comme le travail d'équipe.

"Saupoudrage, trop de formations sur des thèmes imposés sans intérêt, et de temps en temps, une proposition utile". (2001)

"Je suis allée à une conférence sur le sujet mais ce sont mes lectures et mes échanges avec des collègues sur des forums qui m'ont aidée." (2000)

"Après plus de 20 ans de carrière, c'est la première fois que j'avais une formation sur l'écriture et la tenue du crayon. C'était cette année, avec vous." (1999)

"Formation dispensée par notre inspectrice de l'époque, et qui abordait des points essentiels sur la formation des lettres, le guidage vocal. Super intéressant !" (2002)

"C'était dans le cadre des constellations, équipe d'école du cycle 1 au cycle 3 "Vers une écriture et une copie fluide au cycle 3": préparation à l'écriture en maternelle, gym des doigts, geste d'écriture, écriture cursive, travail sur l'empan de mémorisation en cycle 1 pour la copie, harmonisation du guidage vocal pour la cursive, exercices de copie... Demande de notre part pour harmoniser au sein de l'école. Utile pour tous les cycles pour comprendre ce qui est fait avant et après." (2015)

 

 

Un intérêt croissant

Ce qui m'a frappée, c'est que finalement, l'offre en matière de formation a quand même sensiblement augmenté, mais que la perception des besoins a augmenté encore plus ! En effet, alors que près des trois quarts des enseignants n'avaient reçu aucune formation, ni initiale, ni continue, sur la question, en 2019, on constate actuellement que cette part est réduite à 63 %, ce qui est toujours beaucoup, mais marque une évolution très positive.

Malgré cela - ou justement, à cause de cela - alors qu'en 2019 les trois quarts des enseignants - 75,5 % des sondés, exactement - disaient avoir besoin d'une formation sur l'écriture manuscrite, ils sont maintenant encore plus nombreux, soit plus de 80 % !

besoin formation

 

Il semble donc que non seulement les enseignants sont un peu mieux formés, mais en plus ils prennent de plus en plus conscience des besoins en la matière, et sont de plus en plus demandeurs.

 

"En progrès, mais peut mieux faire !"

C'est l'appréciation qu'on pourrait donner à l'Éducation nationale sur la question de la formation à l'enseignement de l'écriture. Pour terminer, je laisse la parole aux enseignants, qui sont loin de décrire une situation idéale mais qui se montrent très actifs dans leurs recherches de ressources.

 "Pas de besoin personnel, car je me suis formée de mon côté. Je dois reconnaitre que les ressources de 5E ont été une vraie découverte, ainsi que les ressources de Danièle Dumont."

"Quand notre inspection nous demandait nos souhaits en matière de formation pour les animations pédagogiques, mes collègues et moi mettions une formation à l'écriture cursive, mais nous n'avons jamais eu gain de cause."

"Je me suis autoformée. J'ai lu votre blog et je vous suis sur fb. J'en profite pour vous remercier grandement de toutes les ressources que vous mettez à disposition."

"Je souhaiterais que l'Education nationale organise des formations avec des professionnels afin d'avoir des conseils éclairés sur la tenue du crayon, la posture, le geste graphique, tous les pré-requis pour un bon apprentissage."

"Je me suis formée seule en lisant des ouvrages pédagogiques :) je suis la progression de Mme Pierson ainsi que le guidage vocal 5E."

"Effectivement, il serait intéressant que tout le monde ait une ligne directrice sur l'écriture manuscrite pour savoir les erreurs à éviter et les points importants pour faire progresser les élèves."

"En maternelle, il manque cruellement une base qu'on pourrait se saisir pour partie sur une bonne base pour l'apprentissage du français comme pour les mathématiques. Si on ne cherche pas par nous-même et qu'on ne se paye pas des formations personnellement, on n'a pas l'information et on n'est pas formé concrètement. "

"Enseignante de GS-CP, je trouve ça compliqué d'apprendre aux enfants à bien tenir leur crayon, à bien faire le geste d'écriture. Je m'inspire de vos posts et vidéos."

"Je cherche seule par mes lectures (Dumont, Pierson) à me former mais je trouve ça insuffisant."

"J’ai obtenu le concours en 2024. Je me suis retrouvée en classe dès la rentrée sans formation. J’ai ensuite enchaîné 2 jours en classe / 2 jours en formation en inspé sur une année. Nous n’avons eu aucun cours sur l’écriture. J’ai acheté (moi-même donc) le livre MDI « Bien écrire à l’école maternelle » pour mes séances avec mes PS et GS (29 élèves). j’ai pris le parti d’utiliser les cahiers Gurvan et vos recommandations notamment pour l’écriture cursive. Merci en tout cas pour votre travail !"

Et je laisse le mot de la fin à une enseignante ayant terminé sa formation en 2002 :

"L'écriture manuscrite est à la base de tous les enseignements. Lamentable que les enseignants n'aient aucune formation sur le sujet".

 

 

 

 

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