guide vert

 Après le "petit livret orange" pour enseigner la lecture et l'écriture au CP et le "petit livret rouge" qui est son pendant au CE1, le ministère de l'Education nationale continue la collection des "guides fondés sur l'état de la recherche".

Pour la maternelle, et en particulier la Grande Section, deux guides sont parus, l'un sur le vocabulaire, l'autre sur la lecture et l'écriture. J'ai lu ce dernier avec attention et l'ai analysé du point de vue qui m'intéresse le plus, celui de l'écriture.

En tant que graphopédagogue, je tiens bien sûr à préciser que je suis ravie que le livret s’intitule Pour enseigner la lecture et l’écriture. Cependant, dès la prise en main du livret, je suis déçue de voir que le sommaire ne comporte d'abord que des questions liées à la lecture :

 

- découverte du principe alphabétique

- apprentissage implicite, apprentissage explicite

- développer les habiletés phonologiques

- évaluation : compétences et habiletés phonologiques

- vers la découverte du principe alphabétique

- évaluation de la connaissance des lettres

 

Ce n'est qu'à la toute fin de ce sommaire qu'on voit arriver l'item :

- Pourquoi et comment faire écrire l'élève en maternelle ?

 

 

Phonologie, phonologie, toujours phonologie

Durant tout le premier chapitre, "Développer les habiletés phonologiques", l'accent est mis uniquement sur l'écoute de la langue. Tout est basé sur la conscience phonémique, la conscience lexicale, la discrimination phonémique, etc.

Tout l'apprentissage est basé sur le fait que l'élève doit, à l'oral, prendre conscience des phonèmes, en commençant par les voyelles, puis les consonnes constrictives (ou fricatives). Le vocabulaire est technique, proche de celui utilisé par les orthophonistes. L'aspect "scientifique" du guide est ainsi renforcé par l'utilisation d'un vocabulaire difficile, propre à impressionner - "phonème consonnantique", "mode d'articulation labio-dental". Tout cela est étayé par des statistiques, puisqu'il nous est dit que les capacités précoces d'analyse phonémique permettent de pronostiquer le futur niveau de lecture des enfants avec une corrélation de .43, c'est-à-dire très forte. Tout cela est bel et bon, mais ne donne guère d'outils aux professeurs des écoles.

Les études scientifiques sont abondamment citées. Il est à noter que ces études ne donnent de résultat, par définition, que sur ce qu'elles mesurent, et qu'aucune étude consacrée au rôle de la graphomotricité n'est citée ici. Il en existe pourtant - certes, beaucoup moins nombreuses. Dans le dernier numéro de la revue ANAE (Approche neuropsychologique des apprentissages chez l'enfant), on peut ainsi lire : "le temps dédié à l'apprentissage de la production écrite - et en particulier à la graphomotricité, voire à l'orthographe - à l'école est souvent insuffisant face aux exigences de l'automatisation et de la mémorisation qui supposent une pratique fréquente et régulière."1

Dans notre petit livret vert, les méta-analyses (compilations de plusieurs études scientifiques) citées montrent que :

- il vaut mieux travailler la conscience phonémique avant d'apprendre à lire qu'après (J'ai l'impression que M. de la Palice n'aurait pas dit mieux)2 ;

- les entraînements doivent être effectués en petits groupes homogènes, pendant 20 mn plusieurs fois par semaine, durant au moins un ou deux mois ;

- ils sont plus efficaces s'ils portent sur le lien oral-écrit que juste sur de l'oral avec des images ;

- les entraînements multi-sensoriels sont plus particulièrement efficaces en lecture-décodage pour les élèves les plus fragiles.

 

Donc, finalement, ce qu'on comprend, c'est qu'il faut apprendre à lire avant de savoir déjà lire, qu'on apprend mieux en petits groupes en travaillant régulièrement qu'en grand groupe et / ou pas régulièrement, qu'on n'apprend pas bien à lire à l'oral, mais mieux en travaillant le lien avec de l'écrit et surtout, SURTOUT, que ça marche mieux pour les plus fragiles si l'entraînement est multi-sensoriel. Que veut-on dire par là ? Il est précisé que les tâches doivent être simultanément orales, visuelles et kinesthésiques. Au cas où ce dernier mot, qui signifie "dans le mouvement", ne serait pas bien compris, il est précisé "haptique ou grapho-motrice". En clair, ce qu'on y apprend, finalement, c'est que cet entraînement phonologique (donc de l'oreille) est surtout efficace si... on ne le limite justement pas à la phonologie, mais qu'on fait écrire les enfants, pour qu'ils encodent le geste.

Sauf que la manière dont c'est rédigé rend la chose un peu obscure, d'une part, et qu'une fois de plus cette importance du geste vient en dernier, tout à la fin du chapitre consacré à la phonologie. Et qu'il n'est pas développé.

Dans les pages suivantes, consacrées aux modalités d'apprentissage, on semble avoir complèment oublié ce fameux aspect kinesthésique (haptique, graphomoteur, bref, du geste d'écriture). En effet, les modalités sont :

- apprendre en réfléchissant et en résolvant des problèmes ;

- apprendre en s'exerçant ;

- apprendre en se remémorant et en mémorisant.

Le geste d'écriture devrait, logiquement, se trouver dans la deuxième proposition : "apprendre en s'exerçant". Las : cette partie ne propose que des activités du type "classer des mots", donc des activités purement intellectuelles, sans aucun support du geste. Une fois de plus, les enfants sont censés apprendre "sans les mains".

 

Il est donc paradoxal de nous présenter, avec des mots bien savants, des méta-études qui insistent sur l'importance d'un apprentissage par le geste pour, ensuite, en déduire une "progressivité" d'où le geste graphique est totalement absent.

 

Une priorité absolue donnée à l’apprentissage intellectuel par rapport au geste

La progression proposée insiste sur la nécessité d'isoler les mots dans la chaîne parlée. C'est effectivement une nécessité. Cette notion de mot est admirablement travaillée par la méthode de Thierry Venot, De l'écoute des sons à la lecture (GRIP éditions), présentée ici sur le site de Zaubette : De l'écoute des sons à la lecture.

Il nous est à cette occasion dit que l'élève est capable d'isoler un mot dans la chaîne parlée à l'oral, puis progressivement à partir d'un support écrit. Encore une fois, on se dit que ça y est, le geste va être pris en compte, mais pas du tout : ce qui est proposé, à partir d'un support écrit, c'est de :

- suivre du doigt les mots ;

- pointer les mots, placer un symbole sous chacun ;

- retirer les mots ;

- pratiquer la dictée à l'adulte.

Toutes ces activités de manipulation des mots sont intéressantes et doivent être pratiquées, mais elles ne font aucunement appel à la fameuse mémoire du geste, si importante dans l'apprentissage. Un geste de pointage ne pourra jamais avoir les mêmes conséquences, au niveau de l'apprentissage, qu'un geste de traçage, dans toute sa complexité.

 

Mise en avant de la dictée à l'adulte

La dictée à l'adulte a de multiples avantages. Le guide nous en présente plusieurs, parmi lesquels le fait de rendre visible les "espaces" entre les mots. En effet, dans cette pédagogie où les "supports écrits" semblent pour les enfants être des éléments tout faits, à découvrir dans leur totalité, le temps de la dictée à l'adulte est bien plus intéressant, puisque c'est un temps durant lequel ils voient l'écriture se faire, de manière manuscrite. Ils en découvrent alors le rythme, plus lent que celui de la parole, le phrasé différent de celui de l'oral, autant que la permanence.

La partie qui décrit cette activité de dictée à l'adulte, concrète et précise, est tout à fait utile. Tout le long paragraphe sur la dictée à l'adulte est très riche : "mise en scène" de l'écriture sous la dictée, utilisation du vocabulaire tel que "mot, ligne, phrase, point" à bon escient, reformulation nécessaire (ajout des particules négatives, absence de redondance du pronom, par exemple), le geste d'écriture en cursive comme modèle à montrer à l'élève, la relecture...

Tout ce paragraphe est très précieux, rédigé dans un vocabulaire simple et clair.

 

La question des syllabes

Juste derrière la présentation de cette dictée à l'adulte se trouve un paragraphe sur la syllabe. Dès le titre, le choix est fait, sans aucune explication, de travailler à partir de la syllabe orale, alors même qu'il s'agit de préparer un travail sur le lien phonème / graphème, c'est-à-dire d'apprendre à écrire.

Il est à noter que parmi les activités, très classiques, proposées, se trouve en bonne place "dire des comptines en scandant les syllabes", ce qui aura dans la majorité des cas pour effet de faire travailler non pas sur les syllabes orales, avec des e "muets" (c'est-à-dire plus ou moins absents, selon les régions) mais bien sur les syllabes écrites.

Tour-ne, tour-ne, pe-tit mou-lin

Ta-pent, ta-pent pe-ti-tes mains
Na-ge, na-ge, pe-tit pois-son

Vo-le, vo-le, pe-tit oi-seau

Et non pas, comme on pourrait le dire au Nord de la Loire, "tourn', tourn', p'tit moulin, tap', tap', p'tit's mains", etc.

Les exemples donnés par le livret sont d'ailleurs parlants : "U-ne pou-le sur un mur, qui pi-co-te du pain dur..."

Ceci est en contradiction avec l'affirmation de la p. 28 : "La segmentation des mots en syllabes se réalise à partir des syllabes orales". Sauf si on se met d'accord sur le fait qu'on est en train de parler d'un oral particulier, celui des chansons et comptines.3

 

Il faut donc bien se mettre d'accord sur ce que l'on entend par "syllabe orale" : si ce sont les syllabes que l'on dit quand on récite une comptine ou que l'on chante une chanson ("J'ai-me la ga-let-te"), je suis d'accord. Si on entend par "syllabe orale" celles que l'on dit quand on parle ("cas'-rol'), je ne suis plus d'accord.

Cette question des syllabes écrites / syllabes orales est d'autant plus importante si l'on met en place un "loto des syllabes" : combien de cases pour "biberon" ? Pour "table" ?

Bien souvent, les enseignants bottent en touche en n'utilisant que des mots sans ambiguïté, comme "éléphant", "chocolat" ou "domino". Cela peut être une solution. Mais si l'on choisit d'utiliser des mots comportant des e non accentués, il me semble important de différencier "che-val" de "pi-ra-te". En effet, les enfants n'ont aucun moyen de deviner que l'un ne s'écrit pas avec un e mais l'autre si, s'ils ne l'ont jamais entendu.

Encore une fois, la totalité des activités prévues avec les syllabes se font à l'oral - aucune d'entre elles ne se fait en lien avec le geste d'écriture.

 

Il en va de même pour le paragraphe suivant, consacré aux phonèmes. Toutes les activités proposées se font à l'oral.

 

Assez logiquement, le "focus" qui suit, sur les évaluations de début de CP, ne porte que sur la reconnaissance des lettres et leur association à un son, sans jamais se préoccuper le moins du monde du geste qui les trace.

 

Des études ne portant que sur l'entraînement phonologique

Trois études sont détaillées, qui portent sur des entraînements phonologiques. Les exercices sont :

- détection, segmentation, fusion, suppression de syllabes et phonèmes (étude 1)

- discrimination de syllabes et de rimes

- suppression et fusion de phonèmes, segmentation de syllabes en phonèmes et correspondance avec les unités orthographiques (étude 2)

- segmentation de mots de deux ou trois syllabes4

- identification ou correspondance des syllabes initiales ou finales

- tâches de sensibilisation à la rime

- appariement lettres-sons

- décomposition de syllabes en phonèmes

- identification et association de phonèmes initiaux

- fusion de phonèmes (étude 3)

 

Là encore, pas une seule activité, à aucun moment, impliquant le moindre geste graphique. Il n'est donc pas du tout précisé à partir de quelles études on sait que "les entraînements multi-sensoriels intégrant simultanément des tâches orales, visuelles et kinesthésiques (haptique ou grapho-motrice) sont particulièrement efficaces en lecture-décodage pour les élèves les plus fragiles (p. 15), ni ce qu'il convient de faire pour mettre en place ces entraînements multi-sensoriels. Aucun exemple n'est donné.

 

La découverte du principe alphabétique

La seconde partie du livret insiste sur l'apprentissage des lettres proprement dites. Elle distingue trois éléments : le nom des lettres, leur son et leur forme graphique. Pour ce qui concerne la forme, la connaissance doit s'appuyer à la fois sur la connaissance visuelle et sur la composante motrice. On s'approche donc enfin de l'intégration de la graphomotricité au processus d'apprentissage. On s'attend à lire un passage sur la mise en place du geste d'écriture. Malheureusement, cette attente sera déçue.

 

Il est très étonnant de voir l'insistance avec laquelle le livret exige la connaissance du nom des lettres. Il est généralement admis que le nom des lettres n'est d'aucune utilité dans l'apprentissage de l'écriture / lecture et peut, au contraire, constituer un obstacle. En effet, chacun sait que "bé + a" font "béa" et non pas "ba". Il est donc plus simple d'apprendre aux élèves le "fffffffffff" que le "effe" - sachant que la connaissance du nom de la lettre n'a aucune utilité pour le déchiffrage. L'affirmation s'appuie sur un article, "Pourquoi la connaissance du nom des lettres est-elle si importante dans l'apprentissage de la langue écrite"5, paru en 2008. Il semble à la lecture du résumé de cette recherche que la comparaison n'ait pas été faite entre un groupe d'élèves ayant appris le nom des lettres et un groupe ayant appris le son des lettres, mais bien entre un groupe ayant appris le nom des lettres et un autre n'ayant rien appris en la matière. Le constat est fait que les enfants à qui on a appris les lettres se débrouillent mieux que ceux auxquels on n'a rien appris. Dont acte.

 

Composante visuelle et composante motrice

Un listing assez étonnant des composantes visuelle et motrice est fait. Il vise à ce que l'élève distingue les lettres des autres signes, y compris des chiffres et des lettres d'autres alphabets. Puis il indique que les activités de traçage sont plus efficaces pour mémoriser une lettre que la frappe sur un clavier, en soulignant que l'apprentissage est meilleur avec une exploration motrice accompagnée d'exercices phonologiques, tout en parlant de "décrire et nommer les lettres".

On aurait apprécié, à cet endroit, un paragraphe aussi clair que celui sur la dictée à l'adulte, décrivant ce que l'enseignant peut faire concrètement, à savoir utiliser des lettres rugueuses, en guidant le geste de l'enfant, faire faire un tracé dans le sable ou la semoule, là encore en guidant le geste, tout en faisant oraliser le son correspondant...

Il n'est présenté qu'une activité sensorielle, celle de la reconnaissance à l'aveugle de lettres mobiles. Cette activité est d'ailleurs intéressante, surtout si on prend soin de faire dire à l'enfant le son de la lettre qu'il reconnaît.

Ce qui est très étonnant, c'est qu'il est ensuite dit que "ces gestes doivent être automatisés", alors qu'il n'a pas été question de geste de traçage de lettre, si ce n'est en surlignage ou en copie, deux activités basées sur le contrôle visuel et non le contrôle par le mouvement. Une phrase tout à fait juste et pertinente, "La fluidité du geste d'écriture automatisé libère des ressources cognitives pour des processus de plus haut niveau relatifs à la production orthographique, à la planification de textes", semble totalement sortie de son contexte. En effet, rien n'a été dit sur la mise en place du geste d'écriture, sur la posture, la tenue du crayon, la position de la feuille, toutes ces conditions concrètes de la réalisation du geste graphique. On ne voit donc pas comment automatiser un processus qui n'a pas explicitement été appris !

Deux études prouvant l'importance des activités impliquant le mouvement sont ensuite citées. A la suite de quoi, des exemples d'activités sont donnés. A savoir :

- activités de mémorisation ;

- activités sur le prénom (activités de reconnaissance globale de ce nom propre, sans aucune justification de ce choix) ;

- activités de catégorisation ;

- activités de phonémisation (paragraphe au cours duquel on note, incidemment, que l'orthographe de certains prénoms peut mettre l'élève en difficulté, mais sans remettre en cause le sacro-saint travail sur le prénom pour autant) ;

- activités d'écriture, enfin. Ces activités d'encodage sont absolument essentielles, et bien plus efficaces que la phonologie, pour l'apprentissage de la lecture. Il est indiqué clairement que le corpus de mots travaillés doit être choisi avec des sons simples et renforcer le rapport lettre-son ! L'importance du geste d'écriture et de l'oralisation n'est jamais mentionnée dans ce paragraphe.

 

Apprendre par coeur l'alphabet - pourquoi ?

Sans aucune justification, il est indiqué ensuite que la connaissance de la comptine alphabétique est un préalable pour apprendre le nom des lettres. Cette affirmation gratuite n'est étayée par rien. Des activités totalement surréalistes, telle que la récitation de l'alphabet à rebours (essayez : ce n'est pas facile. Et je ne suis pas sûre que vous ayez appris à lire ou à écrire en faisant ce genre d'exercice acrobatique), sont proposées, sans aucune ombre de justification pédagogique, si ce n'est que les abécédaires seraient des supports intéressants pour approcher le sens de lecture. J'ai beaucoup réfléchi à cette affirmation et je ne vois toujours pas comment la production de lettres capitales isolées pourrait être une aide pour automatiser le sens de lecture.

Les abécédaires, même si ce sont des "supports culturels", ne contribuent en rien à l'apprentissage de la lecture.

 

Le tracé des lettres - enfin !

A la fin de cette seconde partie, le livret daigne enfin se préoccuper du fameux tracé des lettres. C'est d'autant plus important que les auteurs sont conscients du fait que "L'élève garde en mémoire ce qu'il a vécu corporellement (mémoire sensorimotrice). Le passage par l'écriture des lettres va donc favoriser leur mémorisation et le lien existant entre nom, son et graphie". Je m'inscris d'ailleurs en faux contre cette énumération : on ne fait pas un lien entre trois choses différentes. Ce qui est efficace, c'est de faire un lien entre graphie et son de la lettre, pas nom de la lettre (qui, je le répète, n'a aucune utilité dans le processus d'apprentissage).

Malheureusement, strictement rien n'est dit sur l'apprentissage du geste, les conditions matérielles de sa réalisation, le lien avec le son... et le seul mot qui est proposé à l'écriture régulière est le prénom, au prétexte que les enfants, en écrivant toujours ce sempiternel prénom, auront un moindre effort de mémoire à fournir et pourront donc se concentrer sur la qualité du tracé.

Il faudra donc expliquer à Ryan (prononcer Rayane) et à Venuszka (prononcer Vénouchka) pourquoi "on ne voit pas ton premier a" ou bien "ton u fait ou et ton sz fait ch", expliquer à Abderrazak qu'il n'avait qu'à s'appeler Léo s'il ne trouvait pas facile de tracer deux rr, un z et un k, à Jeanne-Eléonore qu'elle a deux majuscules bien compliquées à tracer, en plus de ses 12 minuscules... tout cela en continuant à "enseigner le principe alphabétique" en ne donnant aux enfants à travailler que des exceptions !

 

Pour finir : le clavier !

Cerise sur le gâteau : après avoir bien expliqué en début de guide pourquoi un geste de pointage sur un clavier n'avait pas la même valeur pédagogique, on demande aux enfants d'écrire avec un clavier d'ordinateur. Pire, on suggère préalablement qu'ils épellent les mots. Un élève va donc énoncer "cé - ache - a - té" avant d'appuyer sur cette succession de lettres. Il est bien évident que cette activité, qui n'est pas sur le chemin de la lecture, risque de mettre en difficulté les élèves qui n'ont pas compris qu'en disant "céhache", il fallait en fait entendre "ch".

Il est même, au bas de la page 45, suggéré de faire écrire les enfants en lettres scriptes, ce qui n'est préconisé à aucun moment, ni dans les programmes, ni dans les documents d'accompagnement !

 

En conclusion : un patchwork de recommandations parfois efficaces, parfois hors sol

On trouve, en conclusion, d'excellentes recommandations :

- choisir soigneusement le corpus de mots travaillés pour que ceux-ci présentent une transcription de phonèmes-graphèmes simples ;

- privilégier la régularité pour favoriser la mémorisation, sans pour autant passer sous silence la rencontre avec des graphèmes complexes ;

- faire écrire les élèves en favorisant les allers-retours entre l'oral et l'écrit : l'encodage d'un mot, par exemple, renforce la discrimination des phonèmes qui le composent. Les élèves s'attardent davantage sur les phonèmes du mot lorsqu'ils essaient de l'écrire : ils répètent le mot lentement et essaient de prolonger les phonèmes pour retrouver les lettres auxquelles ils correspondent.

 

Par contre, juste sous ces recommandations en or, on en trouve d'autres complètement contradictoires, comme celle de nommer successivement les lettres les unes après les autres.


Strictement rien n'est dit sur le geste d'écriture, à part qu'il faut le "modéliser", et qu'il faut "être vigilant à la tenue du crayon et à la posture de l'élève", sans autre précision. Une fois de plus, le geste est un impensé, qui ne mérite aucunement les longs développements auxquels a eu droit la phonologie. C'est d'autant plus dommage dans un guide basé sur l'état de la recherche, lorsque la recherche actuelle insiste sur l'extrême importance de la graphomotricité dans le processus d'apprentissage.

 

Il est également conseillé d'utiliser de grands supports progressivement réduits pour faciliter "l'appropriation des gestes graphiques adéquats", alors même que les supports trop grands risquent d'encourager des mouvements du poignet, douloureux à terme pour la personne qui écrit, et qui s'automatisent malheureusement très vite.

 

Je ne sais donc trop que penser de ce guide, qui met côte à côte d'excellents paragraphes et des préconisations absurdes. Tout donne l'impression d'un patchwork, comme si plusieurs rédacteurs, qui ne seraient pas d'accord entre eux et ne se seraient pas concertés, avaient rédigé divers paragraphes, ensuite mis bout à bout.

 

________________________________________________

 

1. D. Alamargot & M.-F. Morin (2019), Approche cognitive de la production écrite : principaux résultats et apports pour l'apprentissage et l'enseignement à l'école, ANAE, 163, 713-721.

2. La phrase exacte est : "Les effets sont plus importants quand la conscience phonémique est entraînée avec des pré-lecteurs (scolarisés en maternelle) plutôt qu'avec des élèves déjà lecteurs". J'avoue que j'ai du mal à comprendre pourquoi on s'embêterait à faire de la "conscience phonémique" avec des élèves qui savent déjà lire. Mais je suis contente d'apprendre qu'il est effectivement prouvé que ça n'est pas efficace.

3. Il est à noter que, même dans les comptines et chansons, les e peuvent être muets pour des raisons de rythme. Par exemple : "Lèv' la queue et puis s'en va" dans Une poule sur un mur, ou "Avec du beur' dedans" dans J'aime la galette.

4. La phrase exacte est "segmentation de deux ou trois mots syllabes", mais je suppose que c'est une coquille, car ça ne veut rien dire.

5. C. Biot-Chevrier, J. Ecalie, A. Magnan (2008), "Pourquoi la connaissance du nom des lettres est-elle si importante dans l'apprentissage de la langue écrite", Revue française de pédagogie, 162, 15-27.

 

 

Pin It

Copyright ecriture paris 2023