reichstadtDans cet ouvrage, paru en septembre 2021, Janine Reichstadt revient sur l'historique des méthodes de lecture et propose une démarche progressive en quatre étapes - les voyelles, les syllabes, les mots, les phrases et les textes - pour enseigner de manière rationnelle la lecture et l'écriture en classe.

La démarche est construite et le rôle de l'écriture n'est pour une fois pas négligé - même si l'autrice a manifestement une connaissance bien plus approfondie des mécanismes de l'apprentissage de la lecture que de ceux de l'écriture.

Un travail systématique est proposé sur le vocabulaire et la maîtrise de la langue, abordés de manière ambitieuse dès les débuts de l'apprentissage.

100 % synthétique, 100 % déchiffrable

Dès 2009, Janine Reichstadt, alors professeur d'IUFM, proposait une méthode de lecture intitulée Je lis, j'écris, aux éditions Les Lettres bleues. A l'époque, en dehors de Léo et Léa, qui était fort décriée, il n'existait guère de méthodes de lecture basées sur le principe du 100 % synthétique, 100 % déchiffrable. La mode était plutôt aux méthodes dites "mixtes", qui combinaient des leçons de ce qu'on a appelé le code (le b-a ba, ou méthode synthétique, souvent dénommée abusivement méthode syllabique) avec des leçons relevant de la méthode analytique, ou méthode globale (analyser des mots pour en retrouver les petits éléments) et d'autres relevant de la méthode idéovisuelle (reconnaître le mot dans son ensemble, en faisant l'économie du déchiffrage).

Ces méthodes ont fait des ravages et le niveau actuel de lecture des générations qui ont appris à lire avec Ribambelle, A l'école des albums, Abracadalire, Chut je lis et autres Rue des contes est souvent dramatique : les élèves ont été habitués à la lecture-devinette, ce qui les a conduits installer des habitudes de lecture approximative. Je vois tous les jours au cabinet des enfants et adolescents qui lisent "à peu près", ce qui les pénalise terriblement dans la suite de leurs études.

Je lis, j'écris a donc été parmi les pionnières du "retour à la syllabique". L'année suivante, en 2010, est parue la méthode Taoki, aux éditions Istra, qui, sans être 100 % déchiffrable puisqu'elle propose des "mots-outils", renouait également avec un apprentissage raisonné et systématique du décodage. Pilotis a suivi en 2013, et d'autres par la suite, qui redonnaient une place prépondérante au déchiffrage.

Depuis 2018, le ministère de l'Éducation nationale donne des directives fortes pour un apprentissage basé sur la méthode synthétique, ce qui s'est traduit dans les faits par la parution du "livret orange", sous-titré "un guide fondé sur l'état de la recherche", mais aussi par l'organisation de nombreuses formations en direction des enseignants et d'incitations par la hiérarchie à l'utilisation de manuels tels que Lecture Piano. Les inspecteurs, qui sanctionnaient il y a quelques années les enseignants trop portés sur le b-a ba, sanctionnent maintenant avec la même conviction ceux qui ne sont pas assez "syllabiques".

Janine Reichstadt, elle, n'a pas changé de conviction : elle préconise une méthode basée sur le 100 % déchiffrable, un vocabulaire exigeant, l'étude explicite de la grammaire et de l'orthographe et le lien écriture-lecture. Aujourd'hui, elle nous propose un ouvrage pédagogique qui reprend et explicite ces principes.

L'ouvrage commence par une série de définitions, qui sont sans doute les bienvenues à une époque où le vocabulaire pédagogique change et où nombre d'enseignants sont un peu perdus face aux termes utilisés. Il est ainsi rappelé que le terme "graphème" désigne un ensemble de lettres qui forme un son. Il me semble cependant que les lettres muettes devraient être considérées à part : ainsi, dans le mot "beaux", il y a deux graphèmes : le b qui fait [b] et le eau qui fait [o]. Le x, lui, est une lettre muette, marque de pluriel. Envisager les choses de la sorte évite de considérer "ingt" comme une écriture possible du son [ɛ̃] parce que cette série de lettres est présente dans le mot "vingt". Mais c'est un détail.

Haro sur les images

L'autrice analyse ensuite différents extraits de manuels de lecture CP, écartant tous ceux qui présentent un départ visuel et demandent aux élèves de chercher un son à partir d'images. Cette manière de faire existe depuis fort longtemps puisque la célèbre méthode Boscher faisait démarrer chaque page par une image foisonnante, à la manière des abécédaires d'autrefois, où l'on cherchait tous les mots contenant le son de la page.

 

p boscher

On pouvait s'amuser sur cette image à chercher de nombreux
mots commençant par [p], de la pipe de papa aux pierres
du puits. (La Journée des tout petits, dite méthode Boscher)

 

Ce genre d'image ne comporte pas grand risque de confusion pour les élèves, puisque tous les sons [p] vont s'écrire avec la lettre p. Il me semble plus problématique de faire chercher aux élèves le son [o] dans une série d'image où voisinent une pomme (qui se prononce d'ailleurs avec un o ouvert), un drapeau et un fauteuil !

 

taoki o

Au début de la méthode Taoki, on demande à l'élève de dire
s'il entend [o] dans des mots qui ne s'écrivent pas avec o...

 

Janine Reichstadt reproche également aux images de ne pouvoir, par définition, représenter que des mots concrets. Dans l'image de la lettre p, il aurait été difficile de représenter la patience ou la prudence, par exemple ! C'est bien entendu une remarque pertinente, mais il ne me paraît pas absurde de commencer par des mots concrets et facilement représentables en image pour aller, petit à petit, vers plus d'abstraction.

Les parents et éducateurs de jeunes enfants, bien avant que l'heure de l'apprentissage de la lecture ait sonné, utilisent au quotidien des albums ou des imagiers pour enrichir le vocabulaire et l'imaginaire des tout-petits. Quel petit citadin reconnaîtrait une poule d'un canard sans le support des livres ?

Le rejet systématique de toute image lors de l'apprentissage me paraît donc un peu excessif, même s'il est préférable, et de très loin, à l'appui systématique sur les images pour deviner ce que le texte contient.

L'autrice rejette également tous les mots-repères, qui sont pourtant bien utiles pour aider les élèves à orthographier : au lieu de "dans le mot enfant, on écrit d'abord le en de vent, puis le an de maman", elle préconise de plutôt dire "e-n puis a-n". Mon expérience m'a donné l'impression que les mots-repères, s'ils ne sont pas trop nombreux et qu'ils sont à portée de regard en classe, sont une aide pour les élèves. Si on leur associe la gestuelle Borel-Maisonny, dont il n'est malheureusement pas fait mention dans l'ouvrage, on consolide l'apprentissage grâce à la mémoire kinesthésique.

 

Une méthode de lecture très systématique

Échaudée par les méthodes globalisantes, qui allaient jusqu'à proposer à la lecture des textes dont seuls 20 % des mots étaient effectivement déchifrables, la proposition faite est d'atteindre un taux de déchiffrabilité de 100 %. Je pense que c'est un peu excessif - il me semble possible d'introduire très vite quelques mots presque indispensables à la construction de phrases, comme un, elle, est... mais, là encore, mieux vaut être intégriste de la syllabique et aller jusqu'à repousser l'apprentissage de ces mots pendant longtemps que de faire apprendre aux élèves des "mots-outils" compliqués et inutiles, tels que lorsque ou aussitôt, comme le propose par exemple la méthode Rue des Contes...

 

mots outils

Les mots-outils de Rue des Contes, nombreux et compliqués surchargent
inutilement la mémoire. Un mot comme lorsque pourrait être déchiffré
et non mémorisé comme un tout ! Quant à lorsqu'il, il s'agit de deux mots,
et les percevoir comme un seul est un obstacle à la compréhension de la langue.

 

Ce qui me semble essentiel, par contre, c'est l'insistance de Janine Reichstadt sur la littéralité de la lecture. L'enseignant ne doit en effet pas laisser passer le moindre écart entre le texte écrit et le texte lu. "Nous avons le droit d'interpréter, de discuter, de critiquer, de dénoncer un texte, mais nous n'avons pas celui de ne pas respecter scrupuleusement sa littéralité. Apprendre à lire, pour les enfants, c'est aussi apprendre cette rigueur intellectuelle".

Un autre point avec lequel je suis en accord total avec l'ouvrage est la proposition de ne jamais différencier visuellement les lettres muettes des autres, mais de s'appuyer sur le sens des mots pour aider les élèves à comprendre eux-mêmes quelles lettres se prononcent ou ne se prononcent pas. Cet exercice intellectuel fait intégralement partie de l'acte de lire.

Janine Reichstadt préconise également l'utilisation d'un vocabulaire riche et varié, étudié en classe, ce qui me semble absolument essentiel. Loin de considérer que les petits élèves ne peuvent pas avoir accès à la richesse de la langue et qu'il faut les enfermer dans l'utilisation d'un vocabulaire enfantin, elle indique, à très juste titre, que "Ce bagage est au service de la compréhension des textes et, plus largement, de toute forme de pensée dans les divers champs disciplinaires abordés" (p. 78), "Il ne faut pas hésiter à proposer des mots inconnus, recherchés, "savants". C'est permettre aux élèves, à tous les élèves, d'enrichir leur pensée dans tous ses aspects." (p. 79)

 

Pinocchio Huby

Dans Écrire et lire au CP, de Catherine Huby, le vocabulaire proposé aux
enfants est riche : close, bourrade, s'affala seront peut-être à expliciter...
ou seront compris par les enfants grâce au contexte !

Il ne faut en aucun cas s'interdire d'utiliser de "beaux mots" avec les petits.

 

Une grande attention est portée à l'orthographe dès les premiers balbutiements de l'apprentissage. La dictée, comme moyen d'apprentissage et non d'évaluation, est préconisée quotidiennement et l'autrice insiste, avec raison, sur l'importance de l'oralisation : "demander aux élèves de prononcer ce qu'ils écrivent" p. 39. De même, s'appuyant sur les travaux de Stanislas Dehaene, elle préconise la lecture à voix haute systématique : "apprendre à décoder l'écrit, c'est apprendre à l'entendre, à retrouver la face sonore des syllabes, des mots, à les proncer, les lire à voix haute", p. 53. La seule chose qui m'a étonnée, c'est p. 60, dans la décomposition étape par étape de la dictée de syllabes, quand elle propose aux élèves de lire les syllabes dans leur tête, puis dans le chuchoteur. Je suppose que l'inversion est une erreur : il faut bien entendu d'abord lire en chuchotant, pour pouvoir ensuite lire dans sa tête.

L'étude de la grammaire est préconisée lors de séances décrochées permettant de définir par exemple les notions de nom, de déterminant, de genre, de nombre... De mon expérience en classe, il me semble plus efficace d'aborder ces notions au fil de l'eau, par imprégnation - l'enseignant utilise le vocabulaire très régulièrement sans le définir. Les élèves de CP, dont certains ont tout juste 6 ans en décembre, ont souvent du mal avec les définitions et comprennent mieux par l'exemple. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas, en fin d'année, les amener doucement vers ces définitions !

Enfin, l'accent est mis sur l'importance de travailler la compréhension à partir de textes lus par les élèves, et pas de textes entendus. Il faut bien entendu continuer à lire à nos élèves des textes riches, pour le bonheur de la langue et pour nourrir leur imaginaire. Ces lecture offertes ne donneront pas lieu à un interrogatoire sur la compréhension de chaque phrase, mais à discussion et interprétation. Janine Reichstadt cite Daniel Pennac et son excellent Comme un roman, ode à la lecture offerte en milieu scolaire. On pourrait également citer les travaux de Pierre Péroz sur la pédagogie de l'oral à partir de récits littéraires. Mais attention : "Il ne faudrait surtout pas que pendant toute une période la lecture entendue remplace les textes lus par les élèves eux-mêmes". Et c'est bien à partir des premières phrases déchiffrées, fussent-elles élémentaires, que le travail de comprénension fine doit se mener en classe.

 

Une méthode d'écriture bien plus approximative

Janine Reichstadt insiste beaucoup, et à raison, sur l'importance du geste d'écriture, car "la mémoire sensorimotrice assiste activement la mémoire visuelle des mots", p. 26. Elle insiste aussi sur la nécessité d'une bonne posture et d'une bonne tenue du crayon.

Par contre, elle n'a pas une connaissance aussi approfondie des mécanismes de l'écriture manuscrite que de ceux de la lecture. Ainsi, elle indique p. 32 que le "poignet se lève à chaque levée de crayon et s'appuie de nouveau pour maintenir la direction de l'écriture". Or, pour obtenir une écriture qui soit fluide et ne soit pas fatigante, il faut bien au contraire éviter de lever le poignet, et se contenter de le déplacer par glissement au fil de la progression de l'écriture.

La tenue du crayon est présentée de manière tout à fait correcte et explicitée dans tous les détails. Mais l'autrice insiste beaucoup sur les explications : "On expliquera aux élèves pourquoi une bonne tenue du crayon est essentielle pour atteindre le but recherché, à savoir commencer à se sentir à l'aise pour gagner progressivement en habileté dans cette activité". Or, ce n'est pas tant de convaincre les élèves qui est nécessaire que de prévoir un entraînement systématique. Contrairement à la lecture, où chaque étape est décortiquée et l'entraînement mis en avant, pour l'écriture, on se contente de présenter la bonne position et de la recommander, puis de conseiller de faire appel aux guide-doigts du commerce en cas de nécessité. Il aurait été utile de proposer des activités de péparation à la tenue du crayon et des entraînements quotidiens.

Le mot ductus, qui désigne le mouvement même de l'écriture, est utilisé de manière abusive pour désigner un système de fléchage.

 

ductus

p. 35. Le terme ductus ne désigne en fait pas un système de fléchage, mais bien le mouvement
formateur de la lettre.
L'apprentissage du ductus doit se faire par le mouvement, pas par le contrôle visuel du fléchage.

 

L'idée est de favoriser le mouvement et la mémoire kinesthésique. Malheureusement, ce type de codage, qui insiste à ralentir et à suivre des flèches numérotées, a bien souvent l'effet exactement inverse : il favorise le contrôle visuel et la lenteur du geste. De plus, si on regarde attentivement le tracé proposé pour la lettre a, on se rend compte qu'il est proposé en deux fois et implique donc un lever de crayon, qui ralentit considérablement le geste d'écriture !

De même, dans la présentation de la leçon d'écriture d'une lettre, p. 59, l'autrice parle de "reproduire un modèle sur une surface horizontale à partir de la surface verticale du tableau". Or, pour être plus efficace, le tracé ne doit pas se faire en reproduisant un modèle (visuel) mais en faisant un mouvement (en l'occurrence, pour la lettre l, celui de la grande boucle, obtenu en tournant et en allongeant les doigts simultanément).

L'exemple qui est donné d'un affichage souhaitable en classe, réalisé à partir du manuel Je lis, j'écris, ne tient pas compte des recommandations en matière de tracé des lettres : le t est rigide, présenté en trois parties, le r et le o contiennent des œilletons, le e une cassure, et les caractères cursifs utilisés pour écrire les mots comportent des pleins et des déliés.

 

affichage lettres bleues

Le fléchage surcharge et rend moins lisible l'affichage des lettres.
Par ailleurs, la police choisie ne tient pas compte des recommandations
d'Eduscol sur la forme des lettres.

 

Ces importantes réserves mises à part, je ne peux qu'applaudir à la manière dont Janine Reichstadt insiste sur la "relation entre le geste graphomoteur et l'orthographe" (p. 89). C'est la raison pour laquelle, en plus de ses recommandations sur la dictée quotidienne, j'ajouterais celle de "corriger la dictée avant de l'écrire" : comme on sait que l'élève va mémoriser le tracé des mots, il est très intéressant, plutôt que de le laisser écrire puis de corriger ensuite, de lui donner un maximum d'indications avant qu'il prenne son crayon, afin d'avoir une forte probabilité que la dictée ne contienne aucune faute ! A partir du moment où on cesse de considérer la dictée comme un moyen d'évaluation mais bien comme un moyen d'apprentissage, cette technique de "dictée sans faute" ne pose aucun problème et permet de renforcer les compétences de chaque élève.

De l'ambition pour tous

Donnant l'exemple de Lecture Piano et de ses trois niveaux de lecture, l'autrice s'indigne de ce présupposé : "la classe est organisée sur le principe de la certitude d'inégales capacités des élèves dès le début des apprentissages et jusqu'à la fin de l'année", p. 12

piano

Pour les auteurs de Lecture Piano, il y a des lecteurs de niveau 1, de niveau 2 et de niveau 3.

 

C'est une saine indignation, car assigner dès le départ des élèves à se situer parmi les mauvais, les moyens ou les bons est un excellent moyen de creuser les inégalités.

Elle cite au contraire l'excellent ouvrage de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller et son dispositif de réduction des inégalités grâce à un enseignement explicite et systématique. Et elle rappelle au passage la surmédicalisation de la difficulté scolaire, qui incite bien souvent à considérer un élève comme ayant des difficultés intrinsèques, relevant de la pathologie, quand les méthodes d'apprentissage n'ont tout simplement pas été à la hauteur.

 

Un ouvrage à utiliser surtout pour la lecture

En conclusion, cet ouvrage est un ouvrage sérieux et solide, qui sera certainement utile à nombre d'enseignants débutants ou moins débutants. Je souscris à la majorité de ses propositions et même si je n'adhère pas à la lutte contre les images, et préconise plutôt des leçons d'étude de la langue au fil de l'eau au cours préparatoire, ce sont des détails par rapport à l'ensemble des propositions et au sérieux de l'ouvrage. 

Je regrette cependant que, malgré une louable tentative de rééquilibrage des temps d'apprentissage en faveur de l'écriture manuscrite, les propositions en matière de geste d'écriture ne soient pas à la hauteur de ce qui est proposé en lecture.

Les injonctions à être très vigilants sur la posture et à bien l'enseigner sont nécessaires, mais elles ne me semblent pas suffisantes, surtout quand on connaît l'état des lieux de la formation des enseignants en la matière.

À quand une réédition en collaboration avec une graphopédagogue pour prendre en compte la spécificité du geste graphique et les bons moyens d'automatiser le ductus ?

 

Dialogue pédaogique avec J. Reichstadt

Réponse de Janine Reichstadt

Je voudrais souligner le sérieux et la pertinence du compte rendu de lecture que réalise Laurence Pierson de mon livre. Mon objectif était de proposer une sorte de guide pédagogique valable pour l’usage de tout manuel respectant les principes fondamentaux de la démarche syllabique, ce qui m’a amenée à essayer d’être au plus près du travail en classe. Mais bien sûr il ne pouvait pas s’agir de simples recettes, même si on comprend tout à fait que l’insuffisance de formation puisse conduire des enseignants à en demander. A chaque fois, j’ai voulu expliquer sur quoi se fondent les propositions de pratiques que j’avance. A cet égard je dois reconnaitre que Laurence est bien intentionnée quand elle propose une réédition avec une graphopédagogue pour mieux prendre en compte la spécificité du geste graphique qu’elle connait particulièrement bien. Cet aspect de ce travail me parait très important car la recherche montre aujourd’hui, comme je l’indique, que l’automatisation d’un geste graphique de qualité a un impact certain sur celle de la production d’écrit.

Des points de discussion tout à fait passionnants :

Laurence a une réserve sur la question des mots et des images. Il est vrai que les enfants apprennent à nommer les choses en les voyant, soit dans la réalité, soit sur des images. C’est l’exemple de la poule et du canard des petits citadins de Laurence. Mais ils apprennent aussi des mots, très nombreux, qui ne renvoient pas à des images : toujours, jamais, donc, parce que, demain, juste, méchant etc.

Les mots eux-mêmes ne sont jamais concrets (pages 50, 51, 64, 65 de mon livre). En classe lorsqu’un mot désigne quelque chose qui correspond à une image, un dessin, et que les élèves ne le connaissent pas, on peut leur montrer l’image pour expliquer. Mais on a lu le mot, on l’a déchiffré, et on se rend compte qu’on le méconnait. C’est ce mouvement qui est important. J’insiste là-dessus : on prend au sérieux le fait que l’on apprend à lire, et que cette activité dont la finalité est de comprendre, permet justement d’être au clair sur les mots que l’on connait et ceux que l’on ne connait pas pour pouvoir en demander la signification et ainsi pouvoir accéder au sens du texte. Laurence semble d’accord sur ce point puisqu’elle critique avec moi « l’appui systématique sur les images pour deviner ce que le texte contient ».

Sur les mots-repères. Laurence dit que cela aide les élèves à orthographier le mot enfant si on leur dit qu’on écrit d’abord le en de vent puis le an de maman. Je suis d’accord s’ils connaissent l’orthographe de ces deux mots. Mais pages 74 et 75 je pointe les fiches supports qui présentent l’écriture de phonèmes qui correspondent à des graphèmes à partir de mots représentés par des dessins. Mais comment faire pour écrire le au de chaussure devant crapaud et chapeau quand justement on cherche le au en question? De toute façon, je pense que le plus efficace, c’est beaucoup de lectures et de dictées. Sur la gestuelle Borel-Maisonny, j’avoue mes incertitudes. Je me demande si c’est bon, nécessaire (?), d’introduire un autre code.

L’étude de la langue me parait être un point très important du travail dès le CP. A cet égard, Laurence préconise plutôt des leçons « au fil de l’eau ». Sincèrement, je ne vois pas bien ce que cela représente. J’ai besoin d’apprendre.

Ces quelques éléments de discussion peuvent éventuellement être poursuivis, grâce à Laurence que je remercie pour son initiative et sa lecture très attentive.       

Janine Reichstadt

 

Réponse de Laurence Pierson

Merci à vous, Janine, d'avoir pris la peine de répondre point par point à ma fiche de lecture. Ce genre de dialogue pédagogique ne peut être que fructueux.

En ce qui concerne les images, je pense que notre désaccord n'est pas bien grand. En effet, le plus important est bien de ne considérer les images que comme un aide-mémoire ou comme un support explicatif, mais en aucun cas de laisser penser à l'enfant que le mot se réduit à l'image, ou même à sa signification. Ce genre de pratique conduit à des erreurs comme celle que fait le petit Jojo, dans le célèbre film Être et Avoir : devant les lettres a-m-i, il s'obstine à "lire" le mot "copain", sans comprendre où est le problème puisque, au quotidien, c'est comme ça qu'il parle. Cet enfant "lit" le français comme si c'était du chinois, c'est-à-dire des idéogrammes !

Sur l'orthographe, je trouve effectivement pratique en classe d'avoir un mot-repère par graphème, qui aide ensuite les enfants à orthographier. Je préfère leur dire "on écrit chapeau avec le eau de bateau que leur dicter e-a-u. La meilleure approche me semble de toute manière de leur expliquer que, à la fin du mot et en l'absence de lettre muette, on écrit systématiquement le eau de bateau, sauf dans les diminutifs. Je suis bien consciente du fait qu'il existe des exceptions, comme lavabo, mais elles sont rares et je n'insiste pas dessus. Si on en rencontre une, je dis juste que c'est une exception, voilà tout.

Mais je ne peux que tomber d'accord sur la phrase "De toute façon, je pense que le plus efficace c'est beaucoup de lecture et de dictées" !

Concernant la gestuelle Borel-Maisonny, je la pratique depuis des décennies et suis toujours émerveillée du nombre d'élèves qu'elle "débloque" : des élèves allophones, dont l'appareil phonatoire n'est pas encore prêt à prononcer le français, qui peuvent signifier en faisant le geste qu'ils ont entendu le bon son même s'ils ne savent pas encore le produire ; des élèves qui ont du mal avec l'ordre des sons et que la succession des gestes aide à percevoir la succession des sons ; des élèves qui confondent des sons proches et que le geste aide à percevoir les appuis phonatoires exacts ; des élèves ayant du mal à encoder les voyelles qui prennent conscience de leur existence grâce à la gestuelle... J'ai revu récemment une collègue de CP qui avait les mêmes réticences il y a quelques années et qui s'est lancée en voyant deux de ses anciens élèves, redoublant chez moi, entrer dans la combinatoire grâce aux gestes Borel-Maisonny. Elle me dit qu'elle ne pourrait plus s'en passer ! L'essayer, c'est l'adopter !

Quant à l'étude de la langue "au fil de l'eau", je veux simplement dire que durant mes années de CP, je n'ai jamais fait une leçon de grammaire ni de vocabulaire, mais j'ai pris beaucoup de temps, au fil des lectures et des dictées, pour expliquer le vocabulaire, le réutiliser fréquemment pour qu'il sédimente, le rebrasser lors des dictées... De même, sans jamais faire de leçon sur le verbe ou le nom ni définir ce que c'était, j'utilisais très fréquemment ce vocabulaire. Lorsque, par exemple, nous faisions de l'expression écrite, les élèves me demandaient les mots qu'ils ne savaient pas écrire. Je les leur donnais au tableau en les organisant par colonnes : les noms (écrits avec leur article), les verbes, les adjectifs, etc. C'est juste de la grammaire implicite.

Je suis un peu réticente à toujours expliciter tout avec de jeunes enfants, qui apprennent beaucoup par imprégnation. J'attends qu'ils aient atteint 7 ans - le fameux âge de raison - pour faire de vraies leçons de grammaire au CE1 !

Encore merci à Janine pour sa réponse, et au plaisir de continuer à échanger sur nos pédagogies respectives, qui se rejoignent sur les points essentiels.

 

 

 

 

 

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