forme des lettres

 

Quatrième partie : La forme des lettres

Les documents d’accompagnement des programmes de maternelle apportent des précisions importantes sur la forme des lettres. Une harmonisation des normes d’apprentissage en la matière serait effectivement une excellente chose, les élèves que je vois au cabinet ayant parfois beaucoup de mal à s’y retrouver entre les injonctions parfois contradictoires de leurs différents enseignants.

Il est rappelé que l’écriture en capitales romaines n’est pas à enseigner systématiquement. Il ne s’agit nullement d’un pré-requis de l’écriture cursive. L’important est que si l’élève écrit en capitales romaines, les lettres soient reconnaissables. Le sens du tracé n’est pas essentiel, dans la mesure où ce tracé est discontinu. Mais l’enseignant doit rappeler la direction des lettres (souvent inversées par les enfants de maternelle, qui écrivent en miroir) et la nécessité de faire apparaître les angles aigus. Pour que les lettres soient lisibles, il est souvent aussi nécessaire de rappeler le nombre de barres du E, les jeunes enfants ayant tendance à en mettre plus que trois.

Deux ductus sont présentés pour les capitales d'imprimerie, celui du document « modèles d’écritures scolaires » de la Direction générale de l’enseignement scolaire, paru à l’été 2013, et le ductus historique, où les traits verticaux sont tracés de bas en haut. Le document d’accompagnement des programmes prend ainsi ses distances avec le document de 2013, qu'il ne propose pas comme unique référence.

Les modèles d’écriture cursive

En rappelant que ce qui importe, ce n’est pas d’opter pour une écriture qui se rapproche le plus des habitudes de chacun, mais qu’il s’agit de faciliter, pour les élèves, l’apprentissage des lettres, mais aussi l’écriture de mots, le texte se place résolument du côté de l’enseignement raisonné du geste d’écriture. Il précise même que les modèles nécessitent d’être analysés et discutés au sein des équipes pédagogiques, en maternelle mais aussi en relation avec l’apprentissage au cours préparatoire. Le retrait de la GS du cycle 2 risque de ne pas faciliter cette discussion, mais c’est un autre débat.

Les lettres rondes

lettres rondesLes lettres sont listées par catégories de forme. Les premières envisagées sont les lettres rondes, ce qui est légèrement étonnant dans la mesure où ce ne sont pas les plus fréquentes, ni les plus faciles à tracer, ni les premières à devoir être enseignées. Mais ne boudons pas notre plaisir, car trois points essentiels sont précisés :

  • les lettres rondes commencent comme la lettre c
  • les lettres rondes n’ont pas de trait d’attaque
  • les lettres rondes n’ont pas d’œilleton décoratif (ce point est développé plus loin, mais on le voit clairement sur les exemples montrés).

Les lettres à boucles

La deuxième catégorie de lettres listée est celle des lettres comprenant des boucles, qu’elles soient dirigées vers le haut ou vers le bas. Il est rappelé que, à l’exception notable de la lettre z, ces lettres doivent être des boucles « allongées » plus que « arrondies ». La technique proposée est de tracer la partie descendante de la boule selon une ligne droite verticale (le « l au dos bien droit »). Personnellement, je trouve plus efficace de proposer à l’enfant, pour obtenir le même résultat, de « faire le canard » (par référence aux exercices de gym des doigts) ou de tendre son pouce pour étirer la boucle. En effet, j’évite de parler de ligne droite en matière d’écriture cursive, où seule la hampe du q et la barre du t sont vraiment droites.

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La lettre e est traitée à part. Le débat n’est pas véritablement tranché entre les tenants du e apraxique, avec une cassure en milieu de lettre, et les tenants du e tracé en boucle. Cependant, sans vouloir prendre véritablement parti et en renvoyant le choix au « débat entre enseignants », le document rappelle tout de même que le tracé d’un seul élan permet la rapidité et la fluidité de l’écriture.

En ce qui me concerne, je recommande très vivement d’éviter toute cassure inutile et d’enseigner le e comme une petite boucle. C’est même la première forme et la première lettre, selon la progression rationnelle de l’apprentissage de l’écriture.

Les lettres en pont

Le tracé des lettres en pont, m et n, est vu ensuite. Il est clairement précisé que le tracé de chaque partie de la lettre avec des levés de main systématisés n’est pas à conseiller. Effectivement, tous les levés de main inutiles sont à proscrire, et en particulier ceux qui « débitent » chaque lettre en petits morceaux. Les fiches de graphisme visant à enchaîner des séries et des séries de cannes ne sont donc pas utiles. Le texte note également la tendance à traiter les m et n comme des vagues, avec des tracés arrondis. Il faut apprendre aux élèves à « rebondir » sur la ligne pour enchaîner les ponts.

Les lettres à pointes

Les lettres à pointes sont analysées en avant-dernier lieu – ce qui peut là aussi paraître étonnant, dans la mesure où elles sont parmi les plus simples à apprendre. Pour éviter les déformations, le document recommande que les « traits d’attaque » restent « discrets ». Pour moi, il n'y a pas de trait d'attaque dans une lettre à pointe. Si on considère la pointe comme une boucle étroitisée, le point de départ est le même que pour la lettre e, c'est-à-dire sur la ligne.

Les lettres à gestes combinés

On note que le r est un peu complexe à tracer, ce qui est vrai. Pour l’expliquer aux enfants, je propose de commencer comme un i, puis de « changer d’avis » et de finir comme un n. Il est rappelé, à juste titre, que le point de retour n’est pas une boucle mais un épaississement dû au retour de crayon.

Il est également rappelé que la boucle descendante du z est la seule à être « bossue », que la lettre x se trace comme un c à l’envers, puis un c à l’endroit, accolés (donc, en levant le crayon au milieu).

Le s est gardé pour la fin, ce qui est pertinent dans la mesure où c’est la seule lettre qui se termine en allant de droite à gauche, soit à rebours de notre écriture.

Oubli de lettres et préconisations étonnantes

Certaines lettres ne sont pas évoquées – le p et le v, en particulier – et le tracé d’autres, listées parmi les lettres à boucles n’est pas du tout détaillé – notamment le f et le k, qui peuvent donner lieu à des difficultés d’apprentissage.

Une recommandation surprend, émanant de « spécialistes » non nommés : celle de réduire la longueur des boucles montantes comme descendantes, dans le but d’éviter des chevauchements. Il est vrai que ces chevauchements sont parfois présents sur du papier Seyès et obligent à légèrement décaler certains mots. Toutefois, la lisibilité d’un texte est grandement facilitée par la différenciation franche des hauteurs de lettres, ce qui me conduit à être dubitative sur cette recommandation, d’ailleurs émise du bout des lèvres (il est sans doute préférable…)

Les ligatures

enchainement br ministèreLes liaisons entre les lettres font l’objet d’une attention toute particulière, ce qui se justifie pleinement par leur difficulté. Sont en particulier évoquées les lettres à terminaison « haute » (sur le premier interligne), les lettres b, v, w. On s’étonne de ne pas voir ici la lettre o, bien plus fréquente, qui termine également en haut.

C’est à ce moment que les polices de caractères proposées par le ministère en 2013, dont j’ai parlé ici, reviennent par la fenêtre : on va demander à l’élève, pour adapter son écriture à celle des ordinateurs, de démarrer à « mi-hauteur » de l’interligne. Pour étayer la démonstration, un trait pointillé est tracé à mi-hauteur du premier interligne d’un lignage.

On va donc demander aux élèves non pas de s’appuyer sur la ligne, qui est une véritable aide à l’écriture, mais au contraire de s’appuyer sur une ligne imaginaire, non tracée, à mi-chemin entre deux lignes effectivement tracées ! Avec des élèves adroits, cela risque déjà de poser des difficultés, mais je n’ose imaginer le sort du petit dyspraxique à qui l’on dira « Voici une ligne. Ce n’est pas là que tu dois démarrer, mais à mi-chemin entre cette ligne et l’interligne qui est au-dessus »… Je rappelle que le lignage Seyès de taille ordinaire, utilisé dès la fin de CP ou le début de CE1, place le premier interligne à 2 mm de la ligne de base.

Pour justifier ces modèles aberrants (dont le document admet que la forme de certaines lettres […] semble s’éloigner de celles auxquelles nous sommes habitués), on convoque la logique : il ne serait pas logique que certaines lettres ne démarrent pas au même niveau que d’autre.

C’est vrai, et il n’est pas non plus logique que la lettre s aille à rebours, ni que le verbe aller soit irrégulier, ni que f-e-m-m-e se prononce [fam], ni… bref, effectivement, notre langue manque terriblement de logique. Mais changer la forme des lettres pour qu’elles soient « logiques » et conformes à un modèle informatique ne me semble pas une option.

A mon sens, il faut apprendre aux enfants à gérer les ligatures entre les lettres en leur expliquant quels aménagements contextuels ils doivent faire. Dans le mot « colle », par exemple, les deux l n’ont pas exactement la même forme, car ils n’ont pas le même point de départ. C’est l’une des qualités de notre écriture cursive de ne pas présenter de rigidité et d’être capable de lier les lettres entre elles différemment selon le contexte. Cet apprentissage ne doit pas être négligé.

 

colle DD

 

Les œilletons

Le document prend fermement parti contre les modèles présentant de petites bouclettes, ou œilletons, aux changements de direction du geste. L’expérience montre que les enfants ont tendance à accentuer cette bouclette au point de déformer les lettres. Je ne peux que le confirmer. L’écriture avec œilletons d’un mot comme bébé, demandant d’enchaîner œilleton de la fin du b avec un e démarrant en position haute, ou bras, demandant d’enchaîner l’œilleton de la fin du b avec celui du début du r, montre assez bien qu’un résultat satisfaisant ne peut pas être obtenu par un élève de 5 à 7 ans, tant le geste est complexe.

bébé à bouclette   bras à bouclette

Le document fait encore une référence embarrassée au document de 2013, qui préconisait l’utilisation d’une réglure nouvelle (qui n’existe pas) pour faire écrire les élèves. Il est rappelé que les premiers essais de geste peuvent être faits sur papier vierge et qu’ensuite les réglures ont leur rôle à jouer dans les situations d’entraînement.

Je suis entièrement d’accord sur ce point, à condition qu’on laisse l’élève s’appuyer effectivement sur ladite réglure, et qu’on ne lui demande pas de démarrer son geste d’un point imaginaire situé entre deux lignes.

Il est enfin rappelé que l’écriture des initiales en majuscule cursive n’est pas au programme de la maternelle. Pour « orner » les majuscules en capitales d’imprimerie, on suggère alors d’utiliser les fameux « modèles d’écriture scolaire », dans une ultime tentative de leur trouver une utilité.

L'écriture des chiffres

Un point est fait enfin sur l’écriture des chiffres, ce qui est une bonne chose et rappelle le ductus de certains tracés. Je suis juste étonnée qu’on fasse tracer la barre supérieure du 5 avant le reste du chiffre, mais c’est un petit détail.

La conclusion

La conclusion du document, à mon grand regret, insiste sur le « choix » à faire de ne plus utiliser la ligne de base comme… ligne de base, justement. C’est bien dommage, car beaucoup d’enfants ont vraiment besoin d’un appui ferme sur la ligne pour leur geste, je le vois tous les jours au cabinet.

La conclusion sur la forme des lettres est aussi étonnante : le choix, laissé aux équipes dans le corps du document, est fait de tracer la lettre e comme une boucle plutôt que de marquer un arrêt. J’approuve ce choix, mais suis tout de même étonnée de la contradiction entre le contenu du document et sa conclusion.

A l’inverse, alors que le texte du document prévoit de bannir totalement les œilletons, la conclusion demande à ce qu’ils restent « très discrets », ce qui ne veut rien dire. En effet, les enfants perçoivent la présence des formes bien mieux que leurs proportions et auront tendance à agrandir l’œilleton « discret » pour pouvoir le tracer.

Il est vraiment dommage que la conclusion, qui est probablement ce que nombre d’enseignants se contenteront de lire, au vu de la longueur des documents et de leur publication ultra-tardive (qui n’a permis à personne d’en prendre tranquillement connaissance pendant les vacances), rende aussi mal compte du contenu de ce texte. On regrette également les efforts produits pour « coller » aux recommandations absurdes de 2013. Ces deux biais affaiblissent la portée d’un document d’accompagnement qui apporte pourtant de bonnes réponses à certaines questions essentielles.

 

 

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